Sartre, les gens et les bêtes

  • Sartre, souvent bon observateur du phénomène humain !

Ce que je n’aime pas, ce ne sont pas tant les bêtes que les gens bêtes qui aiment les bêtes.

(Ely Ben-Gal, Mardi chez Sartreop. cit., p. 105. Cité par F. Neudelmann, in Un autre Sartre, chap. Sartre en chien)

On pourrait en effet se demander dans quelle mesure on peut avoir un animal domestique sans tomber d'une manière ou d'une autre dans une espèce d'abêtissement de soi ...

Pour autant, il ne faut pas dénigrer tout l'intérêt des animaux dans l'éducation des enfants, pour les gens vivant seuls (âgés ou non), pour les gens en déficit affectif ou chez ceux qui, plus généralement, souffrent psychologiquement. Certes, la bête n'élève pas mais il faut reconnaître qu'elle appaise du fait qu'elle n'a pas, contrairement à nous, la responsabilité de sa propre liberté, de ses propres actes. En ce sens, la compagnie est bonne pour tout le monde.

Elle est également extrêmement intéressante pour expérimenter le fait que certains chats ou chiens, et un grand nombre de mammifères, sont comme au bord de l'intelligence tant il semble quelque fois être en mesure d'échanger d'égal à égal avec nous. Le fait qu'il n'y parviennent finalement que dans la limite des passions et d'une connaissance sans abstraction nous éclaire sur ce qui nous spécifie.

Animaux, Bêtise

Sartre - Contre toute sagesse

  • Et autres absurdités...

Jacques Chancel

Etes- vous contre toute sagesse ?

Jean-Paul Sartre

Oui, parce que la sagesse suppose un citoyen bien établi dans l'état et qui, à ce moment-là, décide de s'adapter au monde. Or, ce citoyen n'existe pas, c'est une fable. Il existe des opprimés, des exploités et des exploiteurs et je ne vois ni chez les uns ni chez les autres une sagesse qu'on puisse leur enseigner.

Jacques Chancel

Il n'est pas de sagesse exemplaire.

Jean-Paul Sartre

Non, ça ne peut pas exister, il y en aura peut-être mais pour l'instant ça n'existe pas il n'y a que des luttes.

Jean-Paul Sartre au micro de Jacques Chancel : Radioscopie (1973 / France Inter) à 3"32

Bêtise, Sagesse, Lutte des classes

Sartre - Le talent, un crime contre soi-même et contre les autres

  • Et autres absurdités...

Lors de ce passage, on culmine plusieurs fois à un niveau élevé de bêtise, pour ne pas dire autre chose.

Claude Lanzmann

Tout à l'heure quand Madeleine vous a demandé « Qui êtes-vous pour juger ? », vous avez répondu (…) « N'importe qui ». J’aimerais que vous en parliez. Par exemple à la fin de votre livre Les mots, vous vous posez une à vous-même et la question est celle-ci : « Que reste-t-il ? » et vous répondez : « Tout un homme fait de tous les autres et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui. » Aussitôt après la parution de Les mots, on vous a décerné le prix Nobel de littérature et vous l'avez refusé. Ceci a fait dire à quelqu'un qui vous aimait bien (et je trouve ça extrêmement drôle) : « Décidément, Sartre est plus n'importe qui que n'importe qui. » J'aimerais que vous parliez là-dessus.

Jean-Paul Sartre

Hé bien, vous comprenez, quand je dis « Tout un homme fait de tous les hommes », ça vaut pour moi comme pour tous et ça signifie, par conséquent, une telle communauté, en profondeur, entre les gens, que vraiment ce qui les sépare c'est du différentiel. Autrement dit, je trouve qu’il vaut mieux essayer de réaliser en soi, dans son aspect radical, la condition humaine, autant qu'on le peut, que de s'accrocher à une mince différence spécifique que nous appellerons par exemple le talent, qui est un crime contre soi-même et contre les autres, parce que c'est s'attacher uniquement à ce qui sépare. En vérité, quand je dis que je suis n'importe qui, je veux dire que les différences (qui font l'objet de vanité, de recherche et d'ambition) sont si minces qu’il faut vraiment être très modeste pour les rechercher et en même temps on se mutile.

Ce que je trouve au contraire - que je ne puis réaliser moi-même, parce que je suis…, c'est ma contradiction de bourgeois - c'est certains rapports extrêmes avec la mort, le besoin, l'amour, la famille, dans un même moment de danger qui fait que à ce moment-là on touche à la vraie réalité humaine, c'est-à-dire à l'ensemble des rapports vécus à tous les termes limites de notre condition. C'est pour ça que j'ai du respect pour les gens qui vivent dans ce domaine, par exemple, si vous voulez, pour ce qu’étaient des paysans cubains avant la révolution : dans la misère, dans la souffrance. A mon avis ils réalisent infiniment mieux ce que c'est qu'un homme que  Monsieur de Montherlant par exemple, et c'est ça que je veux dire.

Cependant, je pense que, dans ces conditions, être n'importe qui n'est pas simplement une réalité, c’est aussi une tâche, c'est à dire refuser tous les traits distinctifs pour pouvoir parler au nom de tout le monde. Et on ne peut parler au nom de tout le monde que si on est tout le monde, et ne pas chercher à la manière de tant de pauvres confrères le surhomme mais au contraire à être le plus homme possible, c'est à dire le plus semblable aux autres. Il s'agit donc, en effet, d'une tâche.

Autrement dit, je suis complètement d'accord avec un des idéaux de Marx qui veut que lorsqu’un bouleversement de la société aura supprimé la division du travail, il n'y aura plus d'écrivains d’un côté, attachés à leur petite particularité d’écrivain, à leur petit talent d'écrivain et puis de l'autre, des mineurs, des ingénieurs mais qu'il y aura des hommes qui écrivent et qui par ailleurs font autre chose mais qui écrivent en ce moment. Parce que l'activité d'écrire est une activité absolument liée à la condition humaine, c'est l'usage du langage pour fixer la vie, c'est donc une chose essentielle mais elle ne doit précisément pas pour ça être confiée à des spécialistes, elle est actuellement confiée à des spécialistes en fonction de la division du travail mais dans la réalité il faudrait concevoir des hommes qui seraient polyvalents. Je ne sais pas si c'est réalisable, ça c'est un autre problème, je sais qu'en tout cas que, nous, nous devons essayer chacun individuellement, les écrivains par exemple, de penser les choses comme ça.

Madeleine Gobeil-Noël

Et le prix Nobel de littérature aurait été une distinction…

Jean-Paul Sartre

Le prix Nobel de littérature aurait été précisément une petite distinction, un petit pouvoir, une séparation. Moi je n'ai de rapport qu'avec mon public.

Madeleine Gobeil-Noël

Mais est-ce que vous auriez accepté Sartre le prix Nobel de la paix ?

Jean-Paul Sartre

Non, pas plus que le prix Nobel de littérature. Ce que j'aurais accepté avec reconnaissance c'est le prix Nobel au moment des 121, parce que à ce moment-là je ne l'aurais pas considéré comme me distinguant mais comme une preuve de solidarité dans les pays étrangers touchant une action radicale contre la guerre. A ce moment-là, oui. Mais je ne l'aurais pas considéré comme étant à moi mais comme un acte politique.

in Jean-Paul SARTRE : l'écrivain, l'intellectuel et le politique - Interview à Radio-Canada (diffusé en mars 1967), de 34’40 à 40'18.

En privilégiant le commun au dépend de la différence spécifique, on préfère l'homme dans sa virtualité, dans son état non déterminé. Cela rappelle la séduction que les contraires possibles exercent sur Duns Scot, lorsqu'on n'est pas en acte on peut encore tout être, cet état peut donner le sentiment d'être tout, de dépasser le principe de non contradiction dans lequel on pourrait être à la fois assis et debout au même moment. Ce qui est certain, c'est que dans les deux cas on relativise l'acte qui détermine car le passage à l'acte limite à une seule puissance... D'où la tentation d'imaginer un homme capable de tout être à la demande, un homme polyvalent ; dans le cas de Sartre, un homme qui ne serait pas seulement limité à être écrivain...

 

Duns Scot, Bêtise, Talent, Pouvoir, Différence, Marx, Commun

Sartre - Je n'ai pas eu de père... L'illusion de la toute-puissance négative

Sartre, sur son absence de père et les conséquence de cela sur sa conception de la liberté. On pourra noter que Sartre, s'il affirme avoir tiré du bien du fait qu'il n'a pas eu de père, ne réalise pas que son père lui a donné quelque chose du fait même de son absence. Cette absence a contribué au développement d'une conception de la liberté presque sans limite, prétendûment sans détermination extérieure, entièrement tournée vers l'auto-détermination ... Quand l'indétermination détermine !

 

Source : Chemins de la philosophie, le 9 janvier 2018, à 49"40, Épisode 2 : L’homme est-il condamné à être libre ?

 

Sur la paternité chez Sartre, voir aussi dans Les Mots, Gallimard, 1964, p. 11. Le livre paraît un an avant l’acte d’adoption d'Arlette Elkaïm. : 

Il n’y a pas de bon père, c’est la règle ; qu’on n’en tienne pas grief aux hommes mais au lien de paternité qui est pourri. Faire des enfants, rien de mieux ; en avoir, quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m’eût écrasé. Par chance, il est mort en bas âge ; au milieu des Enées qui portent sur le dos leurs Anchises, je passe d’une rive à l’autre, seul et détestant ces géniteurs invisibles à cheval sur leurs fils pour toute la vie ; j’ai laissé derrière moi un jeune mort qui n’eut pas le temps d’être mon père et qui pourrait être, aujourd’hui, mon fils. Fut-ce un mal ou un bien ? Je ne sais ; mais je souscris volontiers au verdict d’un éminent psychanalyste : je n’ai pas de Sur-moi. 

 

Voir l'article Sartre et le fantôme du Père, Alexis Chabot

 

Voir les très intéressants contre-exemples manifestes de Verstapen, Sainz et Hamilton.

 

Création de soi, Liberté, Père, Déterminisme

Sartre

 

ORESTE

(...) Ah ! un chien, un vieux chien qui se chauffe, couché près du foyer, et qui se soulève un peu, à l'entrée de son maître, en gémissant doucement, pour le saluer, un chien a plus de mémoire que moi : c'est son maître qu'il reconnaît. Son maître. Et qu'est-ce qui est à moi ? Ah ! un chien, un vieux chien qui se chauffe, couché près du foyer, et qui se soulève un peu, à l'entrée de son maître, en gémissant doucement, pour le saluer, un chien a plus de mémoire que moi : c'est son maître qu'il reconnaît. Son maître. Et qu'est-ce qui est à moi ?

LE PÉDAGOGUE

Que faites-vous de la culture, monsieur ? Elle est à vous, votre culture, et je vous l'ai composée avec amour, comme un bouquet, en assortissant les fruits de ma sagesse et les trésors de mon expérience. Ne vous ai-je pas fait, de bonne heure, lire tous les livres pour vous familiariser avec la diversité des opinions humaines et par­ courir cent Etats, en vous remontrant en chaque circonstance comme c'est chose variable que les mœurs des hommes ? A présent vous voilà jeune, riche et beau, avisé comme un vieillard, affran­chi de toutes les servitudes et de toutes les croyances, sans famille, sans patrie, sans reli­gion, sans métier, libre pour tous les engage­ments et sachant qu'il ne faut jamais s'engager, un homme supérieur enfin, capable par surcroît d'enseigner la philosophie ou l'architecture dans une grande ville universitaire, et vous vous plaignez !

ORESTE

Mais non : je ne me plains pas. Je ne peux pas me plaindre : tu m'as laissé la liberté de ces fils que le vent arrache aux toiles d'araignée et qui flottent à dix pieds du sol ; je ne pèse pas plus qu'un fil et je vis en l'air. Je sais que c est une chance et je l'apprécie comme il convient. (Un temps.) Il y a des hommes qui naissent engagés : ils n'ont pas le choix, on les a jetés sur un chemin, au bout du chemin il y a un acte qui les attend, leur acte ; ils vont, et leurs pieds nus pressent fortement la terre et s'écorchent aux cailloux. Ça te paraît vulgaire, à toi, la joie d'aller quelque part ? Et il y en a d'autres, des silencieux, qui sentent au fond de leur cœur le poids d'images troubles et terrestres ; leur vie a été changée parce que, un jour de leur enfance, à cinq ans, à sept ans... C'est bon : ce ne sont pas des hommes supérieurs. Je savais déjà, moi, à sept ans, que j'étais exilé ; les odeurs et les sons, le bruit de la pluie sur les toits, les tremblements de la lumière, je les laissais glisser le long de mon corps et tomber autour de moi ; je savais qu'ils appartenaient aux autres, et que je ne pourrais jamais en faire mes souvenirs. Car les souvenirs sont de grasses nourritures pour ceux qui possèdent les maisons, les bêtes, les domesti­ques et les champs. Mais moi... Moi, je suis libre, Dieu merci. Ah ! comme je suis libre. Et quelle superbe absence que mon âme. (Les Mouches, 1947, pp. 122-123)

Acte, Liberté, Engagement, Puissance

Sartre

" "Penser, c'est ne pas être dans le mouvement", à partir de là, on peut tirer finalement tout Sartre. Ne pas être [en mouvement], c'est la liberté, c'est ce pouvoir de recul par rapport au monde. Qu'est-ce que ce pouvoir de recul pour Sartre ? La pensée, c'est l'écriture. Et quand prononce-t-il cette phrase ? Au moment, précisément, où il est soliscité par de jeunes maos [maoïstes] qui veulent qu'il adhère complètement à un mouvement qu'il soutient et qu'il retient en même temps. Mais il veut garder sa resèrve. Pour lui, ce qu'il nous donne, c'est que, appartenir à quelque chose, c'est ne pas appartenir, c'est être en recul, et ce recul, c'est la liberté." Juliette Simont dans Les chemins de la philosophie, 7/6/2013, à 15"21.

Liberté, Puissance

Sartre

J.-P. S. – Cette vérité je ne la connaissais pas encore tout entière, loin de là. Je ne la connaissais pas du tout. Mais je l'apprendrais au fur et à mesure. Je l'apprendrais moins en regardant le monde qu'en combinant les mots. En combinant les mots, j'obtiendrais des choses réelles. S. de B. – Comment ça ? C'est important. J.-P. S. – Eh bien ! je ne savais pas comment. Mais je savais que la combinaison des mots, ça donnait des résultats. On les combinait et puis il y avait des groupes de mots qui donnaient une vérité. S. de B. – Ça, je ne comprends pas très bien. J.-P. S. – La littérature consiste à grouper des mots les uns avec les autres : je ne m'occupais pas encore de la grammaire et de tout ça. On combine par l'imagination, c'est l'imagination qui crée des mots comme... « à rebrousse-soleil ». Parmi ces groupes de mots, certains étaient vrais.

Nature, Vérité, Homme, Liberté, Art

Sartre

[A propos du prix Nobel de littérature : ] La hierarchie, c'est ce qui détruit la valeur personnelle des gens. Etre au-dessus ou en-dessous, c'est absurde. (Entretiens avec Sartre)

Hiérarchie

Sartre

S. de B. – Je voudrais revenir sur votre orgueil. Que vous soyez orgueilleux ça ressort très évidemment de l'ensemble de nos conversations ; mais comment définiriez-vous votre orgueil ? J.-P. S. – Je pense que ce n'est pas un orgueil qui porte sur ma personne, Jean-Paul Sartre, individu privé, mais plutôt sur les caractéristiques communes à tous les hommes. Je suis orgueilleux de faire des actes qui ont un commencement et une fin, de changer une certaine part du monde dans la mesure où j'agis, d'écrire, de faire des livres – tout le monde n'en fait pas mais tout le monde fait quelque chose – bref, mon activité humaine, c'est de cela que je suis orgueilleux. Non pas que je la trouve supérieure à une activité quelconque mais c'est une activité. C'est l'orgueil de la conscience se développant comme un acte ; sans doute cela porte aussi sur la conscience comme subjectivité mais c'est en tant que cette subjectivité produit des idées, des sentiments. C'est le fait d'être un homme, un être né et condamné à mourir, mais entre les deux agissant et se distinguant du reste du monde par son action et par sa pensée qui est aussi une action, et par ses sentiments qui sont une ouverture vers le monde de l'action ; c'est par tout ça, quels que soient ses sentiments, quelles que soient ses pensées, que je trouve qu'un homme doit se définir ; pour tout dire, je ne comprends pas que les autres hommes ne soient pas aussi orgueilleux que moi étant donné que ça me paraît un caractère naturel, structural de la vie consciente, de la vie en société... (...) Cet orgueil est lié au fait même de penser, d'agir. Par là on révèle la réalité humaine et ça s'accompagne d'une conscience de l'acte qu'on fait, dont on est content et fier. Je pense que c'est ça l'orgueil qu'on devrait rencontrer chez tout le monde. (...) Les possibilités d'avoir de l'orgueil sont actuellement plus données dans une classe, la classe d'oppression, la classe bourgeoise, que dans une autre, la classe des opprimés, la classe prolétaire ; mais en fait tout homme me semble pouvoir être doté de cet orgueil. Les circonstances sociales font que c'est plus facile pour certains bourgeois que pour des prolétaires qui sont humiliés et offensés ; alors ils ont autre chose que l'orgueil, ils ont l'exigence d'un orgueil ; ils sentent la place vide de cet orgueil qu'ils devraient avoir, et dans la révolution ils réclament d'avoir l'orgueil d'être hommes. Il y a des prolétaires, des paysans dont on voit à travers leurs actes et leurs paroles qu'ils ont gardé de l'orgueil. Ce seront des révolutionnaires, ces gens-là. S'ils ont le dos courbé, le dos rond comme on dit, c'est malgré eux. (Entretiens avec Sartre)
[Ce n’est pas de l’orgueil, c’est de la fierté, une joie dont la source provient d’avoir amené certaines actions jusqu’à leur terme. La perfection de l’acte. - Il y a une vue romantique, imaginative, du prolétaire. Il y a de la fierté à faire son travail de la meilleure manière possible, quel que soit son travail. Il y aura toujours des métiers dont les réalités concrètes sont moins nobles que d'autres. Bien sûr plus l’activité est qualitative, plus son achèvement rend fier, mais cela n’enlève rien à l'expérience de la fierté d’une activité qu’on mène à terme, à sa perfection, et par là, à sa propre perfection.]

Orgueil, Acte, Perfection

Sartre

On ne peut vouloir écrire que pour écrire des choses parfaites. (Entretiens avec Sartre)

Acte, Perfection

Sartre

Je ne veux pas dire qu'il ne faille pas de style ; je me demande simplement si le grand travail sur les mots est nécessaire pour créer un style. (...) Dans le fond, je crois que les choses les mieux écrites ont toujours été écrites sans trop de recherche. (Entretiens avec Sartre)

Style, Technique

Sartre

Le risque de l'élégance, c'est de séparer de sa vérité, l'objet. S'il est trop élégant, il ne dit plus ce qu'il voudrait dire. (Entretiens avec Sartre)

Vérité, Style, Elégance

Sartre

[Au début,] la philosophie avait [pour moi] un rapport avec la vérité, avec les sciences, qui m'ennuyaient. (Entretiens avec Sartre)

Vérité, Philosophie

Sartre

S. de B. – Dans L'Imaginaire, il y avait déjà cette idée de néant ; vous ne pouviez pas vous empêcher de l'approfondir. J.-P. S. – J'y exprimais mon idée essentielle, j'optais pour le réalisme depuis mon année de philosophie. L'idéalisme m'avait déplu profondément quand on me l'avait enseigné. J'ai eu deux années de philosophie importantes : la première, et l'année de première supérieure, la khâgne. En hypo-khâgne, au contraire, j'avais un professeur que je ne comprenais pas. J'ai fait deux bonnes années de philosophie avant d'entrer à l'Ecole normale et là, je n'avais qu'une idée, c'est que toute théorie qui ne disait pas que la conscience voit les objets extérieurs comme ils sont, était vouée à l'échec ; c'est ça qui finalement m'a fait aller en Allemagne quand on m'a dit que Husserl et Heidegger avaient une manière de saisir le réel tel qu'il était. (Entretiens avec Sartre)

Idéalisme, Réalisme, Réel

Sartre

On regarde l'objet littéraire comme valable pour tous, mais sans tenir compte de son contenu anecdotique. Les détails deviennent des symboles. Tel fait particulier vaut pour une série de faits qui caractérisent telle société ou plusieurs sortes de sociétés. L'objet qui était limité passe à l'universel. De sorte que quand on écrit un texte engagé, on se soucie d'abord du sujet qu'on a à traiter, des arguments qu'on a à donner, du style qui rendra les choses plus accessibles, plus percutantes pour les contemporains, et on ne va pas s'amuser à penser à ce que vaudra le livre quand il ne fera plus agir personne. Mais il y a quand même une vague arrière-pensée qui fait qu'on considère que l'œuvre, si elle a réussi son coup, aura un rebondissement dans l'avenir sous une forme universelle ; elle ne sera plus efficiente, elle sera considérée comme un objet gratuit, en quelque sorte ; tout se passera comme si l'écrivain l'avait écrite gratuitement et non pour sa valeur précise d'action sur un fait social précis. C'est ainsi qu'on admire des œuvres de Voltaire pour leur valeur universelle alors que, du temps de Voltaire, ses récits tiraient leur valeur d'une certaine perspective sociale ; donc il y a deux points de vue, et l'auteur les connaît tous les deux quand il écrit. Il sait qu'il écrit quelque chose de particulier, qu'il participe à une action, il n'a pas l'air d'utiliser le langage pour le plaisir d'écrire ; et cependant au fond, il pense qu'il crée une œuvre qui a une valeur universelle qui est sa vraie signification bien qu'elle ait été publiée pour réaliser une action singulière. (Entretiens avec Sartre)

Vérité, Universel, Particulier

Sartre

Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme. (Sartre, L'existentialisme est un humanisme)
[On pose l'affirmation "il n'y a pas de nature humaine" pour que chaque individu puisse vivre librement sa vie sans qu'une prédétermination naturelle ne lui impose quoique ce soit a priori, l'homme est créateur de lui-même.]

Création de soi, Existence, Nature humaine, Liberté